Perag taùein bepred, pen dé er wirioné ?

16 août 2009

De la morale en politique

Il est de bon ton de rejeter tout discours moral de la sphère publique en général, politique en particulier. On ne dit d'ailleurs pas "moral", mais "moraliste" ou "moralisateur", comme pour mieux stigmatiser une prétention insupportable. Le seul terme accepté, et largement galvaudé, en est l'exact synonyme "éthique", peut-être parce que l'origine grecque en obscurcit le sens et le rend plus acceptable.
Pourtant l'action politique et la nécessité même d'une organisation politique peuvent-elle se justifier en dehors d'une exigence morale ?
Sans vouloir remonter aux discours de Rousseau, il est évident que chacun d'entre nous ne peut accepter de réduire sa liberté personnelle au profit d'un ordre politique doté d'institutions judiciaires et d'un pouvoir de police que si cela présente un intérêt réel. Et un intérêt commun si l'on veut que cette organisation politique soit durable. Pourquoi sans cela accepter de payer des impôts, de restreindre ses libertés individuelles, de "payer" pour les autres, au sens propre comme au figuré ?
D'où vient alors ce rejet de la morale, ce rejet des notions mêmes de bien et de mal, où l'interdit fondamental, l'interdit du meurtre en vient à être lui-même relativisé ? Ce relativisme moral a forcément des implications politiques. Il dépasse le slogan emblématique des soixante-huitards "Il est interdit d'interdire". Car ce rejet de la morale n'est plus spontané, il est essentiellement le fruit de lobbies actifs et divers. Divers mais convergents. Quoi de commun en effet entre des revendications sur l'euthanasie ou l'indifférenciation des sexes et des intérêts financiers dans les forêts amazoniennes ou les bourses new-yorkaises ? Quoi de commun entre la haine contre la religion chrétienne et les marchés du sport ou de la chanson ? Entre l'embrasement des banlieues et des voitures et les lois sur la bio-éthique ?
Pourtant j'en ai la certitude, la question morale et les tentatives de redéfinitions du bien et du mal qui s'opèrent aujourd'hui entre individus et entre sociétés sont au coeur des enjeux politiques de notre monde. Et ils mériteraient plus que les cours d'instruction civique biaisés, les moqueries condescendantes des dîners chic et les parodies des soirées télé.

10 commentaires:

Elena a dit…

Le problême est qu'on associe CONSERVATEURS du point de vue moral et CONSERVATEURS du point de vue politique, ce qui n'est pas conforme a la realité. Les pays riches qui veulent généraliser l'homosexualitée et autoriser leur mariage et l'adoption sont du côté du Capital et les américains du sud ou les africains qui sont contre l'avortement sont du côté des exploîtés. Ce n'est pas la eme chose d'etre conservateur socialement et politiquement.

Guillaume Grouzelle a dit…

Le bien et le mal? C'est dépassé depuis longtemps. Un responsable politique exécute son mandat avec les citoyens tels qu'ils sont. Il n'a pas à juger du bien et du mal, ni du beau ou du laid, encore moins de la morale...
Et pourquoi pas la droite et la gauche en politique tant que tu y es?!

Christine Bellégo a dit…

Par delà le bien et le mal ? Votre analyse ne vaut pas celle de Nietzsche. Nulle société ne peut se passer des notions de bien et de mal. L'enjeu est ce que l'on met sous ces notions. On a pu légitimer l'esclavage, bien des sociétés et des régimes politiques justifient aujourd'hui l'asservissement de la femme et la question essentielle en ce moment à mon avis est celle du caractère sacré de la vie humaine qui est peu à peu remis en cause. Un handicapé, un vieux, pourquoi pas une fille ou un noir, ont-ils un droit absolu à la vie ? Ou cela peut-il se discuter, s'évaluer, au sein de la famille, au sein de l'hôpital, au sein du parlement ?
C'est une question éminemment politique et c'est une question de bien et de mal : a-t-on le droit de donner la mort ?

hoplite a dit…

"D'où vient alors ce rejet de la morale, ce rejet des notions mêmes de bien et de mal, où l'interdit fondamental, l'interdit du meurtre en vient à être lui-même relativisé?"

je crois que c'est le propre des démocraties libérales modernes, qui reposent désormais seulement sur le droit et l'échange marchand. toute hétéronomie a été évacuée, à dessein, pour éviter antagonismes et guerres de religion,donc dans un but louable, au départ: pacifier la société.

Le revers de la médaille est la disparition de toute référence philosophique ou morale normative: la société du moindre mal.

Christine Bellégo a dit…

Oui, je crois aussi que la société libérale cherche à substituer le droit au sens de contrat aux valeurs morales fondées sur un sens sacré (et donc religieux) de l'humain. Mais je crois aussi que l'individu ayant fait l'expérience de ce droit sacré à la vie et à la reconnaissance ne pourra pas admettre qu'il soit sans cesse bafoué, du moins quand lui-même sera concerné, ou quand les concernés seront suffisamment nombreux ou suffisamment forts.

Maxime Zjelinski a dit…

Je dirais même que la société civile est d'autant moins libre qu'elle prétend se passer - et se passe en effet - de morale, dans la mesure où la société, abandonnée à elle-même, ou plus exactement abandonnée aux caprices inconciliables des individus qui la composent, n'a aucune chance de durer sans l'appui d'une autorité supérieure, qui du coup est obligé de traduire dans le langage des lois - lourd, laborieux, parfois maladroit - ce que les hommes, un peu plus sensibles à ce qui les rassemble, auraient respecté spontanément.
Oui, il faut de la morale. Il en faut pour les politiques comme pour la société civile, pour qui la morale est comme un roulement à billes permettant aux uns et aux autres de vivre ensemble sans se référer toujours aux lois et aux contrats. Mais si la société veut se débarrasser de la morale et se raser intégralement, gare aux irritations...
La liberté implique la morale et la responsabilité.

Christine Bellégo a dit…

Oui être vraiment libre, c'est être responsable, c'est pouvoir et devoir répondre de soi. Combien sont capables d'être vraiment libres ? Mais ceux-là ne peuvent tolérer ni la dictature, ni l'oppression, ni l'aliénation. Et doivent donc être capables d'assurer la liberté de tous. Non ?

Maxime Zjelinski a dit…

"Et doivent donc être capables d'assurer la liberté de tous."
Qu'entendez-vous par là ?

christine.bellego a dit…

J'entends que je refuse le despotisme éclairé ou les appels qu'on entend ça et là à une disparition salutaire de la démocratie. Même imparfaite, et puisque forcément imparfaite, la démocratie doit assurer possibilité de la liberté pour tous. A mon avis.

Maxime Zjelinski a dit…

Nous sommes d'accord. Il n'y a en effet rien de plus facile, et en même temps de plus impopulaire, donc en définitive, rien de plus snob que de s'en prendre à la démocratie sous prétexte que plusieurs volontés individuelles n'en remplaceront jamais une seule. Je vois là l'illusion d'optique du planificateur que son "pragmatisme" rend paradoxalement aveugle à l'apragmatisme de sa démarche.
Cela dit, et je dis ça pour nourrir le débat, non pour le miner, il me semble que le despotisme n'est pas incompatible avec la démocratie, qui en soit ne garantit pas la liberté des individus. La démocratie, réduite à ses mécanismes, peut devenir une machine à broyer les citoyens (on connaît l'analyse de Tocqueville, on pourrait citer également celle d'Aron). Il faut donc à un peuple, en plus de l'esprit démocratique, cet esprit libéral qui pacifie les relations sans obliger qui que ce soit, sous prétexte de tolérance, à tout accepter de son prochain. Et force est de constater qu'hélas, de nombreux démocrates - je ne parle pas d'hommes politiques mais de simples civils, comme moi - n'ont pas cette qualité, cette souplesse d'esprit vis-à-vis d'autrui.